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Tolstoï, Twitter et égoïsme: Lorsque la littérature classique rejoint notre quotidien

Connaissez-vous Yann Martel, le très talentueux auteur de l’Histoire de Pi? Il a mis en ligne un projet: Que lit Stephen Harper? Un petit projet qui consiste à proposer des lectures au premier ministre du Canada, @pmharper. Contrairement au PM, j’ai décidé de commencer le premier livre que Martel suggère: le recueil de nouvelles La Mort d’Ivan Ilitch, de Tolstoï (1828-1910). Il y a des auteurs classiques dont j’adore la plume vivante, visuelle, agréable et intemporelle, comme Voltaire. Tolstoï est de ces auteurs. Il s’avère que j’ai trouvé dans sa nouvelle «Histoire de la journée d’hier» une satire de la conversation en tant qu’occupation. À l’ère où les médias sociaux rejoignent plus de la moitié la population et que twitter est communément admis comme un verbe et une activité, vous remarquerez que cette satire a probablement plus de sens aujourd’hui qu’elle n’en avait à son époque — quoique personne n’est là pour en témoigner.

La conversation, en tant qu’occupation, est une invention stupide. Et ce n’est point du tout le manque d’esprit qui tue la conversation, mais l’égoïsme: chacun veut parler de soi ou de ce qui le préoccupe ; et si l’un parle et que l’autre écoute, ce n’est plus une conversation mais une leçon. Si deux hommes intéressés par les mêmes questions se rencontrent, il suffit que survienne un tiers pour tout gâcher; ce dernier s’en mêle, il faut lui donner part au débat et toute la conversation va au diable.

Il arrive aussi qu’une conversation s’engage entre deux personnes préoccupées des mêmes sujets et que nul importun ne les vienne déranger; là, c’est pire encore: chacun parle de la même chose, mais en se plaçant à son propre point de vue, en ajustant tout à sa mesure; plus la conversation se prolonge, plus l’un s’éloigne de l’autre, jusqu’à ce que chacun s’aperçoive qu’il ne parle plus, mais prêche, se prenant soi-même à témoin de ce qu’il avance et que, faisant de même, son interlocuteur ne l’écoute pas.

La première partie de la citation me fait penser à Twitter. La deuxième, aux échanges virtuels entre geeks d’Apple auxquels personne n’ose se joindre, vu l’intensité de la geekitude. Cela dit, j’en profite pour souligner qu’il se dégage une impression, celle que plusieurs voient les médias sociaux comme les instigateurs d’un certain égoïsme. Un murmure laisse croire que Twitter et Facebook ont inventé l’art de ne s’intéresser qu’à soi et à son propre point de vue. Or, cet art est probablement aussi vieux que le langage articulé. Si un russe qui rédige à l’époque où l’on se véhicule en calèche se plaint de l’égoïsme dans la conversation, il doit bien y avoir quelque chose qui relève de la nature humaine. La seule nouveauté que les médias sociaux apportent est que vous pouvez maintenant monologuer avec l’impression d’être écouté. De l’autre côté, vous pouvez aussi faire semblant d’être attentif aux élucubrations de vos amis en cliquant sur le bouton «j’aime». Converser pour s’occuper demeurera certainement une activité égoïste, peu importe le mode de communication, ne vous en surprenez plus!